Le totoaba (totoaba macdonaldi) est une espèce de poisson endémique du golfe de Californie, au Mexique. Malgré les mesures de protection, sa population, autrefois abondante, continue de subir les ravages de la surpêche. En Chine, sa vessie natatoire est considérée comme un mets de luxe et se négocie près de 15 000 $. Ce marché noir a éveillé la convoitise des cartels mexicains : classé en danger critique d’extinction depuis 1996 par l’UICN, le totoaba macdonaldi est désormais connu sous le triste nom de « cocaïne aquatique ».
Description de l’espèce menacée
Le totoaba macdonaldi est le plus grand membre de la famille des Sciaenidae, dont les représentants sont caractérisés par le croassement qu’ils émettent. Ces poissons possèdent en effet une vessie natatoire, sorte de poche de gaz permettant de modifier la flottabilité (elle se compresse ou se dilate en fonction de la profondeur), et émettent un bruit caractéristique lorsque les muscles abdominaux frottent sur cette poche.
Au milieu du XXème siècle, les plus grands totoabas pêchés atteignaient deux mètres de long pour 100 kg. Il semblerait toutefois que ce genre de spécimens ait disparu, les adultes étant désormais plus jeunes, donc plus petits.
Le corps de ce poisson est argenté. Sa tête est pointue, dotée de petits yeux et d’une bouche ornée de deux rangées de dents. La mâchoire inférieure est par ailleurs légèrement saillante. Le totoaba macdonaldi possède une double nageoire dorsale, avec une séparation très marquée, la postérieure étant la plus longue. Il ne dispose pas de barbillons, mais ses nageoires pectorales très longues lui permettent de fouiller les fonds marins à la recherche de ses proies.
Localisation du totoaba macdonaldi
L’espèce est endémique du golfe de Californie, au Mexique, et plus particulièrement de sa partie nord. Elle partage donc son territoire avec la vaquita, l’un des cétacés les plus menacés du monde.
Le totoaba macdonaldi reste dans le delta du fleuve Colorado jusqu’à l’âge de deux ans environ, puis migre vers le sud afin de rejoindre la mer de Cortés. Il y a près d’un siècle, lorsque l’espèce était encore répandue, la présence de jeunes adultes était aussi avérée dans la partie sud du golfe, dans des zones de récifs rocheux ou autour d’autres larges confluents, mais ils ont aujourd’hui disparu.
Le totoaba est une espèce benthique : il évolue au fond du golfe, à une profondeur maximale de 25 mètres, où il se nourrit de poissons, crabes et crevettes.
Reproduction du poisson
Le totoaba macdonaldi ne fraie qu’une fois par an, vraisemblablement entre février et avril. Au début de l’hiver, les individus matures se trouvent au centre du golfe de Californie et entament leur migration annuelle vers l’embouchure du Colorado, où les eaux étaient il y a encore quelques décennies chaudes et faibles en salinité. Ils remontent le long de la côte de l’Etat de Sonora, restent dans l’estuaire durant quelques semaines puis, après la frai, migrent à nouveau vers la mer de Cortez en longeant la côte est de la Basse-Californie. Après la naissance, les petits restent dans le Colorado durant deux ans environ, puis leur métabolisme change. Les eaux faibles en salinité ne leur conviennent plus et ils se dirigent vers la mer, rejoignant ainsi la population adulte.
A cet âge, le totoaba macdonaldi n’est pas encore mature sexuellement : il ne le sera qu’à partir de 6 ou 7 ans. Les scientifiques ont par ailleurs extrapolé cette donnée pour estimer la durée de vie moyenne de l’espèce : ils considèrent que le totoaba macdonaldi peut vivre entre 25 et 30 ans à l’état sauvage. Cela ne reste toutefois qu’une estimation. Malgré l’exploitation dont a été victime l’espèce au cours du XXème siècle, la documentation concernant son cycle de vie manque et s’appuie essentiellement sur les données des pêcheurs.
Menaces
En moins d’un siècle, le totoaba macdonaldi a vu sa population se réduire de 95 %. Cette chute vertigineuse s’explique d’une part par la dégradation de son environnement de frai, et d’autre part par la surpêche et le braconnage dont il fait toujours l’objet.
Dégradation des habitats
Le totoaba macdonaldi, durant ses premières années de vie, présente un métabolisme très adapté aux eaux saumâtres, faibles en salinité. Aujourd’hui encore, les plus jeunes individus restent donc jusqu’à l’âge de deux ans dans l‘estuaire du fleuve Colorado. Pourtant, ce dernier a subi d’importantes modifications depuis le milieu du XXème siècle. Des images du satellite SPOT 2 datées de 2009 montrent que le débit du fleuve a été réduit de plus de 90 % en un siècle. Cette eau est notamment prélevée par les descendants des premiers pionniers américains, qui en sont propriétaires selon la loi américaine. Ils utilisent cette ressource afin d’irriguer les cultures au milieu du désert. Des barrages ont également été construits le long du fleuve et plusieurs canaux réorientent aujourd’hui le débit vers Los Angeles, San Diego ou Las Vegas.
L’estuaire a également connu une très forte hausse de sa salinité durant plusieurs années, mais une usine de désalinisation a ensuite été construite juste avant la frontière mexicaine et le taux de sel est revenu à son niveau historique.
Malgré ces modifications, le totoaba macdonaldi continue à migrer dans cet estuaire pour la frai, ce qui semble indiquer que l’espèce s’est adaptée à la dégradation de son habitat. Il paraît cependant raisonnable de penser que celle-ci a influé sur sa reproduction, sa croissance et son métabolisme.
Pêche et braconnage
La pêche commerciale du totoaba a commencé à grande échelle à partir de 1920. Deux éléments en faisaient une proie facile : ses cycles migratoires étaient connus des pêcheurs et, au printemps, l’espèce était très présente dans l’estuaire du Colorado. Au début des années 1930, le Mexique enregistrait déjà 200 à 400 tonnes de totoabas pêchés chaque année. Le commerce explose ensuite et, entre 1935 et 1948, les chiffres officiels évoquent 1 000 à 2 200 tonnes pêchées chaque année. Après un pic historique en 1942, la quantité de poissons prélevés diminuera jusqu’en 1975 malgré l’intensification de la pêche et l’amélioration des instruments. Cette année-là, 58 tonnes seulement sont prélevées ; la pêche de totoabas est alors interdite par le Mexique.
Malgré cela, de jeunes totoabas sont encore chassés durant plusieurs années, que ce soit pour la consommation ou pour le sport. Au milieu des années 1980, on estime que plus de 130 000 totoabas sont encore victimes de la pêche chaque année. La sensibilisation porte ensuite ses fruits et, bien que le braconnage ne cesse pas entièrement, la pêche semble diminuer.
L’avenir de l’espèce va cependant connaître un nouveau tournant au milieu des années 2000. A des milliers de kilomètres du Golfe de Californie, en Chine, un autre poisson de la famille des Sciaenidés est victime de la surpêche et s’éteint. La raison ? La vessie natatoire, cette simple poche remplie de dioxygène, dioxyde de carbone et diazote, est considérée en Chine comme un mets de luxe. La médecine traditionnelle l’utilise également pour résoudre certains problèmes de cœur ou de peau, et même pour soigner des troubles de la fertilité. Avec l’extinction du bahaba taipingensis, les Chinois cherchent un substitut, une autre espèce de Sciaenidés. Ils se tournent vers le totoaba macdonaldi.
Dès lors, la demande augmente alors que les stocks sont au plus bas ; les prix au marché noir explosent. Les vessies natatoires de totoabas sont vendues 1 000 à 5 000 $ l’unité aux Etats-Unis, puis dépassent allègrement les 10 000 $ une fois acheminées sur le sol asiatique. L’espèce a même gagné le surnom de « cocaïne aquatique » : les cartels mexicains gagnent des millions de dollars chaque année grâce à sa contrebande.
Conservation de l’espèce sauvage
En 1975, le Mexique interdit la pêche du totoaba macdonaldi, l’intègre à sa liste d’espèces menacées et établit une zone protégée autour de l’estuaire du Colorado. A cette époque, le nombre de spécimens a tellement chuté que la période de frai du poisson est passée de plusieurs mois à moins de trois semaines. La taille moyenne d’un de ces poissons est nettement plus petite que quelques décennies plus tôt : les poissons pêchés sont pour la plupart de jeunes individus n’ayant pas encore migré vers la mer.
En 1976, le totoaba est placé sur l’Annexe I de la CITES puis, en 1979, sur la liste des espèces menacées des Etats-Unis. Malgré ces mesures de conservation, la pêche ne s’arrête pas.
En 1996, l’UICN classe l’espèce en danger critique d’extinction. Cette décision est aujourd’hui contestée : l’espèce n’a jamais fait l’objet de la moindre étude qui permettrait d’en connaître le nombre de spécimens. Certains experts montrent même que l’aire de répartition et le cycle de vie de l’espèce sont stables depuis 1975. Tous s’accordent sur la vulnérabilité de l’espèce, mais le risque d’une extinction n’a en réalité jamais été scientifiquement évalué. Nul ne sait s’il peut être qualifié de « critique ».
Au début des années 2000, une tentative de conservation voit le jour. Des individus sont capturés pour se reproduire dans un environnement sécurisé. Depuis, quelques milliers d’œufs et de très jeunes poissons ont été relâchés. Cependant, là encore, le manque total d’étude fiable se fait sentir : il est impossible d’estimer les retombées de ces réintroductions.
Le Mexique a établi de lourdes sanctions afin de lutter contre la contrebande de totoabas, mais les peines maximales ne sont jamais appliquées. Alors que le braconnage est aujourd’hui passible de 20 ans de prison et d’une amende de 250 000 $, les dernières condamnations oscillent entre 4 mois et un an de prison. Pourtant, depuis 2013, les saisies se multiplient aux Etats-Unis et au Mexique, avec des prises records dépassant les trois millions de dollars. Pendant ce temps, en Chine, les saisies sont quasi-inexistantes et le commerce, pourtant interdit, se pratique ouvertement.
Il s’agit là d’un défi de taille pour les autorités mexicaines, car l’avenir du totoaba macdonaldi est directement lié à celui du marsouin de Californie, l’une des espèces les plus menacées du monde. En effet, pour capturer les totoabas, les braconniers utilisent des filets de plusieurs dizaines de mètres de long qu’ils abandonnent durant de nombreux jours. Ils capturent ainsi toutes sortes de poissons, y compris les petits cétacés. Si ce ne sont que des dommages collatéraux, les conséquences pour l’avenir de l’espèce sont dramatiques : il reste moins de 100 de ces mammifères dans la mer de Cortez, dont ils sont endémiques, et chaque spécimen tué est un pas de plus vers l’extinction de l’espèce. Selon Greenpeace, le vaquita ne pourra être sauvé que si les autorités parviennent à endiguer le braconnage du totoaba macdonaldi. Le gouvernement mexicain l’a bien compris et, en 2014, a interdit pour deux ans l’usage de tout filet de pêche dans la partie nord du golfe de Californie. L’avenir nous dira si cette mesure suffira à sauver les deux espèces.
3 Réponses to “Le totoaba”
25.05.2021
GhazouaniBonjours
Nous avons au Maroc un poisson (scieanidé) que l’on nomme : »COURBINE » qui atteint des tailles respectables (60 kg et plus) très proche du totoaba macdonaldi.
Les pêcheurs professionnels sont au courant de la valeur de sa vessie natatoire et un commerce de cette organe commence à prendre de l’ampleur pour une destination asiatique au même titre que les holoturies (boudin de mer ).
03.05.2017
ivaldi pierreSoutien total
14.04.2017
vybl08Je fais un projet sur ce poisson merveilleux et c’est vraiment triste qu’il soit menacé.