
Il est 7h30 du matin. Perché à 600 mètres d’altitude aux confins du département de la Haute-Garonne sur la frontière espagnole, le village de Melles est encore endormi en ce samedi matin. Seule l’auberge est allumée. A l’intérieur, son gérant déjà prêt à nous accueillir, accompagné d’Adrien de l’association Pays de l’Ours – Adet. Nous faisons connaissance autour d’un café pour nous réchauffer de la météo peu clémente qui nous attend dehors. Rapidement, le sujet qui nous intéresse tous arrive dans la discussion : l’ours.
Une journée sur les traces de l’ours
Peu importe la raison de notre présence, passionné de nature ou simple curieux, pour ceux qui s’apprêtent à partir sur les traces de l’ours comme nous, l’excitation est au rendez-vous. Et les questions nombreuses.
Alors le café à peine bu, la petite équipe – ce matin-là, nous sommes six mais Pays de l’Ours peut accompagner jusqu’à une dizaine de personnes – se met en marche. Et c’est à pied que nous traversons Melles pour nous enfoncer dans la forêt.

Avant de sortir du village, Adrien Derousseau de Pays de l’Ours – Adet présente le programme de la journée.
« Le sentier que nous allons emprunter aujourd’hui fait environ 10 km pour un dénivelé de 700 mètres, dont une montée plutôt raide », prévient Adrien. Un programme sportif, donc. Mieux vaut l’aborder en bonne santé et équipé de bonnes chaussures.
Mais Adrien Derousseau qui anime la sortie depuis plusieurs années se veut rassurant : « Les pauses seront nombreuses, nous prendrons notre temps ». Car l’objectif de la journée n’est pas de se dépêcher, mais d’observer. La nature, bien sûr, mais surtout les traces de l’ours.
Recueil d’indices sur la présence de l’ours
Le départ depuis le village de Melles est hautement symbolique : c’est là qu’ont eu lieu en 1996 les premières réintroductions d’ours alors qu’il n’en restait plus que 5 ou 6 dans la chaîne pyrénéenne.

Site de relâcher des ours à Melles (Haute-Garonne).
Ce chemin que nous empruntons pourrait être l’un des six créés dans le secteur afin de suivre la population d’ours dans les Pyrénées. Il est balisé par 4 caméras pièges que nous aurons pour mission de relever, mais il est le seul ouvert au public pour ce type de journées dédiées à la sensibilisation. Le but étant avant tout de garantir la tranquillité des animaux sauvages.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne faut pas s’éloigner beaucoup pour chercher des indices de la présence de l’ours. « On pense que l’ours se réfugie loin sur les hauteurs, mais il est avant tout un animal de forêt. C’est là qu’il trouve sa nourriture – essentiellement des fruits, des baies et à l’approche de l’automne, des fruits secs comme les faines (du hêtre), des glands et des châtaignes – ainsi que quelques protéines, qui représentent environ 20 % de son alimentation à l’année », explique Adrien.
Et la forêt commence aux abords directs du village. Les maisons sont encore dans notre dos que nous inspectons déjà les bords d’une flaque d’eau de pluie, à la recherche d’empreintes. « La boue, c’est pas mal pour marquer les empreintes des animaux, commente l’animateur de Pays de l’Ours. Mais il faut toutefois se montrer vigilant, parce qu’il est facile de confondre une patte d’ours avec la patte d’un gros chien par exemple. » La clé pour les distinguer : les cinq doigts de l’ours sont tous alignés à la différence des canidés.
Maintenant que nous savons les reconnaître, nous gardons donc les yeux braqués au sol pour s’assurer qu’on ne passe pas à côté d’une empreinte. Si nous en rencontrons une, il faudra la mesurer avec précision pour ensuite envoyer ces informations à l’équipe en charge du suivi de l’ours. Idem si nous découvrons des poils d’ours sur l’un des pièges prévus à cet effet.

A la recherche de poils d’ours sur l’écorce d’un arbre. Il faut savoir ouvrir l’oeil !
Mais repérer un poil d’ours dans une forêt, c’est pire que de chercher une aiguille dans une botte de foin ! Sauf si on s’arrange pour que l’ours se gratte contre un arbre en particulier. Un petit barbelé situé à bonne hauteur et un produit odorant qui détourne un ours de sa trajectoire dans un périmètre de 10 à 15 mètres, et le tour est joué. Ce stratagème a justement été mis en place en divers endroits sur le sentier et il s’avère payant puisque nous découvrons plusieurs indices.
Des informations plein la tête
Alors que nous nous enfonçons toujours plus dans la forêt, écoutant tour à tour les sons de la nature comme le tapotement du pic noir contre un tronc et les commentaires d’Adrien sur l’ours des Pyrénées, une interrogation grandit : « allons-nous croiser un ours ? ».

Relevé d’une caméra-piège.
Peu de chances que cela se produise, malheureusement. Car l’aire de répartition est bien plus vaste que la population d’ursidés française actuelle. « La plus petite d’Europe », comme le rappelle Adrien, avec une cinquantaine d’individus repérés avec certitude en 2019. L’ours brun est d’ailleurs classé « en danger critique » d’extinction en France, alors qu’il n’est pas considéré comme menacé à l’échelle globale. Et puis, l’ours est doté d’un incroyable odorat et d’une ouïe très fine. A moins qu’un certain nombre de conditions soient réunies – comme le sens du vent par exemple – il vous aura repéré suffisamment tôt pour garder ses distances. Adrien lui-même n’a pas encore eu la chance de voir l’ours dans son milieu naturel. Pourtant, il arpente régulièrement ces montagnes, parfois même seul comme par exemple lorsqu’il part en repérage ou pose des caméras.
Ces pièges qui se déclenchent automatiquement au passage d’un animal devant l’objectif capturent eux-mêmes peu de clichés d’ours. Mais cela arrive et à chaque fois, la découverte de ces images est un moment exceptionnel. Le principe : lorsqu’elle détecte un mouvement, la caméra prend d’abord trois photos puis lance une vidéo. Ces images sont enregistrées sur carte mémoire et ensuite récupérées pour être analysées avec attention ultérieurement par Pays de l’Ours. « Certaines de ces caméras ont capturé de sacrées images », raconte Adrien, sortant sa tablette et nous montrant, preuve à l’appui qu’il dit vrai. Ici, un ours subadulte s’est frotté le dos contre un arbre pendant de longues secondes il y a quelques semaines. Là, on pense distinguer l’arrière d’un plantigrade sur un cliché un peu flou. Ou bien serait-ce un sanglier ? Mais aussi bien d’autres animaux de la forêt comme des cerfs, des blaireaux ou encore des renards.
Apercevoir l’un de ces plantigrades n’est de toute façon pas le but de notre journée, consacrée plutôt à la découverte de l’ours des Pyrénées et sa conservation. L’occasion aussi d’en finir avec les nombreuses idées reçues qui circulent à son sujet, comme par exemple :
- sa taille gigantesque – en fait, l’ours qu’on trouve aujourd’hui dans les Pyrénées est plus de deux fois et demie plus petit que le grizzli américain et lorsqu’il marche à quatre pattes, on peut le confondre avec un gros sanglier,
- sa férocité – là encore, c’est faux, l’ours préfère fuir les conflits plutôt que de les provoquer et procède simplement à une charge d’intimidation en cas de rencontre imprévue,
- ou encore son agressivité envers les troupeaux. L’ours est simplement opportuniste, à nous de mettre en place les moyens de protection nécessaires pour limiter les attaques.
Ces informations en tête, nous quittons la forêt avec le sentiment d’avoir partagé un moment avec l’ours. Nous avons arpenté son milieu, découvert des traces récentes de son passage et, sans même l’avoir aperçu, nous avons l’impression de mieux le connaître et le comprendre.
* Dernière date disponible pour partir sur les traces de l’ours en 2020 : samedi 7 novembre. Réservation sur le site ici. Prochaines dates à partir de mai 2021.
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