Les bébés phoques ne sont plus matraqués, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont en sécurité
Enfoncé à l’arrière d’un hélicoptère et vêtu d’une grande combinaison de survie orange, j’ai regardé la glace de mer fracturée passer comme des confettis. Nous recherchions des phoques du Groenland sur les banquises stables du golfe du Saint-Laurent, au Canada, mais ces banquises, ainsi que les phoques qui en dépendent, sont de plus en plus difficiles à trouver.
La difficulté d’atteindre les phoques du Groenland n’est pas due au manque de nombre de phoques. Selon le ministère canadien des Pêches et des Océans (MPO), ils sont 7,4 millions répartis en trois groupes de population (Atlantique du Nord-Ouest, mer du Groenland et mer Blanche/mer de Barents). Le problème est le retrait des glaces résultant du réchauffement des eaux. Cette perte de glace affecte à la fois les phoques, qui mettent bas sur la glace pour éviter les prédateurs, et les humains des Îles-de-la-Madeleine, au Québec, qui dépendent de la glace pour se protéger des tempêtes hivernales.
Une fois que nous avons trouvé de la glace sur laquelle atterrir, j’ai suivi un guide et quelques appels vocaux émis par des chiots affamés pour trouver une mère et un chiot à robe blanche blottis l’un contre l’autre. Le chiot nous observait curieusement avec de grands yeux noirs avant de rouler sur le dos et de toucher nez à nez sa mère. Les chiots sur la glace étaient encore très jeunes, le pelage de certains étant encore jauni par le liquide amniotique. Au bout de quelques jours, leur pelage blanchit puis devient gris argenté. La relation mère-petit est brève. Les mères les allaitent pendant 12 à 14 jours, perdant ainsi environ six livres par jour, tandis que les chiots deviennent riches en graisse et doublent de taille. Après cela, la mère repart pour s’accoupler.
Mère et bébé phoques du Groenland sur une banquise.
Érosion le long de la côte des Îles-de-la-Madeleine suite à l’ouragan Dorian.
Le gouvernement canadien a interdit la chasse commerciale de ces chiots blancs vulnérables depuis 1987 et a établi des règles strictes pour les interactions touristiques. Cela a contribué à protéger la population, mais le changement climatique apporte de nouvelles incertitudes quant à son avenir. L’archipel de la Madeleine connaît déjà des tempêtes plus fortes, comme l’ouragan Dorian, qui a arraché certaines parties des îles en 2019. Et une barrière de glace de moins en moins protégée ne protège plus contre les tempêtes hivernales. Une étude montre que les températures autour des îles ont « réchauffé de 4,2 degrés Fahrenheit depuis la fin du 19e siècle, soit deux fois la moyenne mondiale ».
Selon Marie Eve Giroux, directrice d’Attention FragÎles, la perte des côtes insulaires a obligé certaines personnes à déménager. L’érosion importante des dunes de sable et des falaises a laissé les routes et les sentiers plus proches de la mer ou autrement endommagés. L’organisme de Giroux suit les effets des changements climatiques sur les Îles-de-la-Madeleine et travaille à restaurer les dunes de sable endommagées par l’érosion en encourageant les ramassages naturels de sable et la plantation d’herbes de plage.
Pour ceux qui vivent sur l’archipel, les phoques (ainsi que l’extraction du sel) sont le moteur de leur économie. En raison de la distance croissante entre les îles et la glace stable, les chasseurs de phoques doivent désormais voyager plus au nord pour les trouver. Cette distance physique croissante entre les îles et la glace où les phoques mettent bas affecte également le tourisme des phoques. Sur les îles, par exemple, le Château Madelinot est le point de départ d’une courte fenêtre d’observation des phoques en toute sécurité, où la glace est encore proche et suffisamment solide pour accueillir les touristes. Selon Ariane Bérubé, directrice du marketing et des communications du Château Madelinot, la perte de glace marine au cours des dernières années a entraîné l’annulation de plusieurs saisons touristiques.
Cette tendance va certainement se poursuivre. «Il y aura un impact sur la population», explique Garry Stenson, chercheur scientifique et chef de la Section des mammifères marins du MPO. L’amincissement et le rétrécissement des glaces signifieront que « la mortalité des jeunes (phoques) augmentera ».
Et à mesure que la glace recule, « les phoques finissent par commencer à mettre bas plus au nord ». Les phoques du Groenland sont résilients, note Stenson, mais cela signifie qu’ils entreront dans un territoire inexploré : une nouvelle étude montre que la glace marine estivale de l’Arctique pourrait avoir complètement disparu d’ici 2034.
Lorsque nous sommes revenus aux Îles-de-la-Madeleine après notre observation des phoques, nous avons eu le sentiment qu’une nouvelle normalité se développait. La vie autour du golfe du Saint-Laurent, tant pour les phoques que pour les humains, ne dépend plus des hypothèses du changement climatique. Le réchauffement des eaux, le retrait des glaces, les tempêtes plus violentes et l’effondrement des îles sont une triste réalité à laquelle il n’est pas possible de revenir en arrière.
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