Loin d’une « nature toute puissante qui reprendrait ses droits » ou chercherait à « se venger », la crise sanitaire mondiale qui a mis la planète au pas serait en réalité une conséquence de nos modes de vie, où l’humain a oublié qu’il n’était pas seul sur Terre mais membre d’un tout. L’analyse de Marie-Pierre Puech, vétérinaire depuis quarante ans, fondatrice de Goupil Connexion et de l’Hôpital pour la faune sauvage.
Les chauves-souris et le pangolin sont souvent désignés comme responsables de l’épidémie de Covid-19. Qu’en pensez-vous ?
M-P Puech : « On se trompe de sujet. « Les animaux malades des hommes, les hommes malades des animaux », pourrait-on dire. Car en effet, le Covid-19 est une zoonose, c’est-à-dire une maladie qui s’est transmise de l’animal à l’homme. Mais plutôt que de désigner responsables les chauves-souris comme étant des « réservoirs à virus », posons-nous la question de pourquoi ces virus nous atteignent aujourd’hui ?
C’est facile de faire des animaux – qui n’ont pas de voix pour se défendre – des boucs émissaires. D’ailleurs, cela s’est toujours passé ainsi. Il y a eu la grippe aviaire dont on a tenu pour responsables les oiseaux migrateurs, les blaireaux avec la tuberculose, les bouquetins du Bargy avec la brucellose… »
Une zoonose est une maladie infectieuse ou parasitaire qui se transmet d’un animal à l’homme, soit directement (par piqûre ou morsure par exemple), soit indirectement si on consomme la viande de l’animal en question notamment. Les zoonoses sont très répandues, comme le rappelle l’ONU : elles représentent 60 % de toutes les maladies infectieuses chez les êtres humains et 75 % de toutes les maladies infectieuses émergentes. Chaque année, les zoonoses tuent des millions de personnes dans le monde.
Le Covid-19 qui a mis l’activité humaine à l’arrêt depuis début 2020 est l’une de ces zoonoses, mais il en existe bien d’autres comme par exemple le SRAS de 2003 – qui a été transmis depuis une chauve-souris à l’homme par l’intermédiaire d’une civette – ou encore le SIDA, Ebola, le virus Zika, la dengue, le paludisme, la maladie de Lyme, etc.
En ce qui concerne le Covid-19, les chercheurs ignorent encore précisément comment le virus s’est transmis à l’homme, ou plutôt, ils n’ont pas identifié avec certitude l’intermédiaire qui a permis à ce nouveau coronavirus de passer des chauves-souris aux humains.
M-P Puech : « En réalité, les zoonoses se propagent en raison de nos modes de vie et de consommation. Il n’y a qu’à regarder le moustique tigre : s’il a ramené le chinkungunya en Occident, c’est dans nos containers de marchandises. C’est pareil avec l’épidémie de Covid-19. Délocalisé des forêts asiatiques, le virus a trouvé sur son passage des humains vivant concentrés, fragiles et réceptifs. Si l’homme n’avait pas fait de la déforestation à outrance et s’il n’était pas allé déranger ces écosystèmes, nous n’en serions pas là. Ce n’est donc pas « une guerre » mais le signal que nous devons changer. Il nous faut réapprendre à vivre les uns avec les autres et réparer le tissu vivant planétaire qui nous relie tous. »
Ce nouveau coronavirus doit donc nous encourager à changer ?
M-P Puech : « Oui, et il est plus que temps ! Déjà en 1962, la biologiste américaine Rachel Carson lançait une alerte au travers de son « Printemps silencieux » et prédisait une catastrophe écologiste à venir avec l’utilisation massive des pesticides toxiques dans l’agriculture et la destruction d’espèces pourtant communes. Mais si peu de personnes ont entendu son appel, et aujourd’hui, en 2020, nous y sommes à ce printemps silencieux. Silencieux pour les hommes, confinés et terriblement anxieux face à la pandémie de Covid-19 qui s’étend dans le monde entier. Pourtant, tant de signaux auraient dû nous alerter plus tôt. Finalement, il aura fallu cela pour que cette humanité ultra connectée prenne conscience que nous ne pourrons pas vivre sur cette belle planète sans un mode de vie nouveau et une alliance, les uns avec les autres, espèces avec espèces. Si nous ne le faisons pas, il faut s’attendre à d’autres épidémies de ce genre. »
Le Covid-19 se présente dans la bouche de nombreux experts comme une pandémie symbole d’une biodiversité maltraitée et mal-aimée. En détruisant les milieux naturels (forêts, zones humides, etc.), l’homme se met de plus en plus en contact avec une faune susceptible de transmettre de nouveaux agents pathogènes, plus résistants en raison de l’utilisation massive d’antibiotiques dans l’élevage et de pesticides dans l’agriculture. Autre inquiétude : la consommation d’espèces sauvages.
Déjà en 2007, des scientifiques écrivaient au sujet de l’épidémie de SRAS de 2003 : « la présence d’un important réservoir de virus de type SARS-CoV chez les chauves-souris Rhinolophidae ainsi que la culture de manger des mammifères exotiques dans le sud de la Chine est une bombe à retardement. Il ne faut pas ignorer la possibilité d’une réapparition du SRAS et d’autres nouveaux virus provenant d’animaux ».
Couplés aux infrastructures de la mondialisation, ces modes de consommation aboutissent à des « métropandémies », comme l’écrivait en 2016 le professeur de sciences politiques Gilles Pinson dans Les Cahiers de la métropole bordelaise : « L’épidémie de SRAS est devenue un cas d’école de ces « métropandémies » touchant quasi simultanément des foyers très éloignés géographiquement mais intensément connectés par le trafic aérien ».
Justement, comment peut-on faire précisément ?
M-P Puech : « Il nous faut changer de mentalité, comprendre que ce n’est pas l’homme contre le reste du monde, mais tous les uns avec les autres. Mieux, l’humanité se doit d’une responsabilité accrue envers les autres espèces, car pour se protéger elle-même elle doit d’abord protéger les autres, et on le voit bien aujourd’hui.
Pour cela, il faut mieux connaître la biodiversité. L’école nous apprend à lire et à compter, mais pas à connaître la faune et la flore qui nous entourent. La majorité des gens vivent dans des centres urbains complètement déconnectés de la nature, au point que nous l’oublions. Tout ceci doit changer. Il faut remettre la nature au cœur de nos villes et apprendre à la découvrir.
A Montpellier, nous travaillons par exemple sur la création de « lieux d’expérience de la nature », où nous pourrions à la fois soigner et présenter les animaux sauvages blessés. Imaginez des volières où vivrait un faucon crécerelle qui a pris un tir de plomb et ne pourra plus jamais voler, ou un aigle royal cloué au sol après avoir pris une ligne électrique ? Tous ces animaux que nous soignons dans l’ombre, actuellement, dans les centres de soins de la faune sauvage, mais qui pourraient devenir des ambassadeurs de cette faune maltraitée et pourtant si belle. Ce seraient à la fois des lieux d’apaisement et d’apprentissage pour nous aider à ralentir, à essayer de vivre autrement, une vie moins toxique pour nous et les autres. Le monde ne manque pas de merveilles, il manque d’émerveillement. Alors, émerveillons-nous ! »
1 réponse to “Coronavirus : « Ce n’est pas une guerre mais le signal que nous devons changer »”
08.04.2020
RechCQFD merci.